Le Blogue de Maurice Roussel

Depuis le traité de Paris en 1763, le Canada est une colonie britannique, tout comme les treize autres colonies américaines. En 1775, les Américains demandent leur indépendance, ce qui leur est refusé. Ils se révoltent et tentent d’entraîner l’ancienne Nouvelle-France dans leur mouvement. Mais les habitants de la Rivière-Ouelle se souviennent de l’année 1759, alors que leurs maisons étaient incendiées par les soldats britanniques. Ils ne veulent pas revivre le même calvaire. Par ailleurs, l’Église prêche la fidélité au gouvernement anglais. L’évêque va même jusqu’à menacer d’excommunication tous «ceux qui mourront les armes à la main». Le curé Parent de Notre-Dame-de-Liesse est bourru et invective souvent ses paroissiens. Ceux-ci se regroupent et demandent qu’il soit muté ailleurs. Mais leur requête n’aura pas été écoutée par l’évêque de Québec. On l’accuse notamment d’avoir refusé la confession à des paroissiens, dont Augustin Émond, le beau-père de Jacques Roussel.

D’autre part, il y a à Rivière-Ouelle, un séparatiste, Basile Dubé, navigateur qu’on soupçonne d’être payé par les rebelles américains. C’est lui qui surveille toute la région du sud du fleuve, entre Rimouski et Rivière-Ouelle. Ce Basile Dubé est connu de Jacques Roussel puisqu’il a acquis une terre de Jean Miville, quelques mois après lui à la Pointe aux Orignaux. Dubé est le cousin de Geneviève-Gabrielle Émond. Au moment de la guerre de la Conquête, il a déménagé à l’Ile-Verte, où il pratique la navigation. Selon les curés de la région, Dubé cause des scandales en «allant contre les ordonnances de Monsieur Murray».

La France encourageait les révolutionnaires américains. Pour la première fois depuis la Conquête, nos ancêtres avaient à choisir leur destin. Ils devaient prendre position. Choisir de supporter les Américains, c’était désobéir à l’évêque. Mais devant l’encouragement des intellectuels, dont le notaire Joseph Dionne de Sainte-Anne, les Américains auraient enrôlé une centaine de rebelles, dont une quinzaine à Rivière-Ouelle. Des combats auront lieu à Lévis, d’où les rebelles sortiront vainqueurs.

Jacques Roussel était-il au nombre des rebelles qui suivirent Dubé? Je serais enclin à répondre par la négative parce que, contrairement à la plupart de ses co-paroissiens, il était né et avait vécu dans la misère des gens de basse condition en Bretagne qu’il quitta à l’âge de vingt-neuf ans, alors que Basile Dubé et ses amis étaient de la troisième génération au Canada; donc, aucun d’eux n’avait connu la vie de roturier du vieux pays. Lui, Jacques Roussel, qui avec vaillance et détermination avait réussi à devenir propriétaire terrien sur la rive du fleuve, allait-il se battre pour des idées politiques ?

Une autre raison pour laquelle je suis porté à croire que mon ancêtre n’aurait pas suivi les rebelles, est l’absence de son nom dans les archives qui font mention de rebelles. Ceux-ci, pour la plupart, durent s’exiler aux États-Unis afin d’échapper aux représailles des Anglais.

Quoi qu’il en soit, tous ces événements montrent bien le climat de tension horrible dans lequel vivaient nos ancêtres de Rivière-Ouelle. Jacques Roussel, qui avait quitté sa Bretagne natale pour sortir de la misère des gens de basse condition, devait bien se demander si sur la terre, il pourrait y avoir un coin de paix et de tranquillité ! Pendant ce temps, en France, ses frères, ses sœurs, ses cousins, ses cousines vivaient dans des conditions de plus en plus pitoyables et leurs cœurs se préparaient à la grande révolution qui surviendrait quatorze ans plus tard.

Mais la guerre n’a pas empêché les Roussel de respecter leur engagement conjugal. Le 11 février 1776, un autre enfant, Pierre vient au monde mais, malheureusement, il mourra le 14 octobre 1777, avant d’avoir deux ans. Deux mois après avoir enterré Pierre, soit le 17 décembre 1777, Gabrielle donne naissance à Henri.