Chapitre X

Derniers contacts avec Rose-Anna


J’ai vu Rose-Anna la dernière fois, le 13 mai 1970, à l’hôpital. Elle y est entrée quelques jours auparavant pour des examens, sous l’impression qu’il s’agissait d’une affaire sans importance. Elle devait subir une intervention chirurgicale le lendemain.

Je passai l’après-midi du 13 avec elle. Elle était gaie. Je l’ai laissée vers 4 heures; je voulais être rendu à St-Gabriel pour chanter la messe du soir. Après l’avoir embrassée je lui dis: "Ne nous fais pas de geste demain."
Elle a répondu:  "Ce sera une affaire faite."

Le 14 mai 1970, vers 10 heures du soir, quelques heures après l’opération, elle rendit l’âme assistée de sa petite fille Jocelyne, qu’elle a toujours considérée comme la quatorzième de sa propre famille.

J’ai remarqué que depuis plusieurs années elle priait, demandant de mourir avant moi et de ne pas devenir impotente afin de devenir à la charge des autres. Elle a été exaucée à la perfection... Dieu soit béni.

J’ai constaté, par l’assistance aux funérailles, qu’il n’y avait pas seulement que moi qui l’aimait.

Qu’elle repose en paix auprès de ses parents et de son Viateur.

MES VOYAGES

Il y a quelques années, un de nos gendres, le plus joli d’après la belle-mère Rose-Anna, nous amène à New-York. Surpris par une tempête de neige, nous rebroussons chemin et nous nous dirigeons vers les Pays d’en Haut, le pays de Séraphin. C’est en hiver, mais c’est beau, et je puis dire que j’ai vu ce coin de mon pays. J’avais vu les Mille-Iles il y a de nombreuses années, c’est merveilleux, mais quand c’est chez nous c’est mieux.

Plus tard j’ai fait le tour de la Gaspésie. La maladie m’ayant surpris en voyage, ça n’a pas été intéressant ni pour moi ni pour ceux et celles qui m’accompagnaient. Imaginez comment ça pu être souffrant d’être dans l’incapacité de satisfaire mes besoins naturels, de Rimouski à Gaspé...

S’il se présentait de faire le trajet de Montmagny à Sept-Iles, en passant par Québec, ne manquez pas ça. C’est vraiment beau. J’ai fait ce voyage avec un autre de mes gendres et sa femme, il n’y a pas longtemps.

En 1968, en décembre, un autre gendre nous amène tous deux, Rose-Anna et moi, en Floride. Voyez-vous si c’est commode d’avoir des gendres... c’est facile, il suffit d’avoir des filles. Nous partons pendant une tempête de neige, et, passé New-York, nous y voyons des animaux au pâturage, et deux jours plus tard nous traversons d’immenses vergers. Les arbres sont chargés de beaux fruits jaunes et il fait beau comme chez nous en été. Quatre jours pour aller, quatre jours là, et quatre jours pour revenir. Le séjour se passe dans une roulotte mise à notre disposition par ce gendre qui est l’homme d’affaire de la famille... Chose remarquable, je prends un bain dans l’Atlantique, le jour de Noël, et le lendemain du jour de L’An, j’en prends un autre dans le golfe du Mexique. Le conducteur a le front et la moustache voulus pour égayer les passagers. C’est une rigolade continuelle, mais ça été moins rigolo au retour quand nous sommes restés pris dans la neige, à Kamouraska, en pleine nuit, et nous n’étions pas seuls...

Cette même "moustache" me conduisait en automobile, il y a quelques années, de Montréal à Kapuskasing. C’est un beau coin, très différent de chez nous.

En 1970, le gendre de mon gendre me fait faire le tour de la Gaspésie. Je suis en santé cette fois. C’est vraiment beau, mais je m’aperçois que je vieillis. Je ne suis plus avec mon gendre, mais avec le gendre de mon gendre.

21 juin 1970

Au retour d’un voyage à Sept-Iles, les paroissiens de St-Gabriel ont préparé une fête pour le père de l’année, et ce père de l’année c’est moi.

Tous mes enfants sont là, par miracle. Seule Rose-Anna n’y est pas. J’aurais pourtant voulu qu’elle y fut. Après avoir partagé mes travaux, mes inquiétudes, enduré mes caprices pendant cinquante ans, j’aurais voulu aussi que tous les pères partagent ces honneurs. Il y en avait certainement un grand nombre plus méritant que moi.

Cette fête coïncidait avec mon 80ème anniversaire de naissance.

Mes chères enfants, vous vous prépariez à fêter nos cinquantes ans de vie conjugale en juillet. C’est dommage. La providence en a voulu autrement. Consolez-vous, pour Rose-Anna, la fête n’est plus d’un jour, mais perpétuelle.