Les annexes

Lettre à Rose-Anna

Sept-Lacs, 21 mars 1920.

A Mademoiselle R.A. Morissette

Sept-Lacs

Chère Demoiselle,

Après avoir sérieusement médité sur vos paroles de lundi dernier, j’en conclus Mademoiselle qu’il est de mon devoir de vous abandonner. "L’amitié ne manque pas entre vous et moi", me disiez-vous. Mais qu’est-ce qui manque??- Le courage?? Bien, permettez-moi de vous dire ce que j’en pense si toutefois c’est le courage qui fait défaut: Moi, je suis courageux, je puis vous en donner des preuves, et je ne veux pas d’une femme sans courage.

Mon chagrin est indicible Mademoiselle, car j’avais mis en vous toute ma confiance et sur vous reposaient tous mes rêves d’avenir, mais mon courage n’est pas en banqueroute. Il est ranimé par cette pensée que, c’est à force de chagrins, de peines, et d’épreuves, bien acceptées, comme venant de Dieu, que je mériterai d’avoir ce que je veux, c’est-à-dire, une compagne vertueuse qui me sera une aide assurée, sur la route qui conduit au salut.

Je ne saurais trop vous remercier de toute la bienveillance avec laquelle vous m’avez toujours entouré depuis que je vous fréquente.

Votre bonne mère et votre cher père ont droit à toute ma gratitude, pour l’accueil chaleureux qu’ils m’ont toujours fait. J’en garderai longtemps le souvenir avec celui des qualités et des vertus qui brillent en vous.

Le seul reproche que j’aie à vous faire, c’est de n’être pas sincère, vous pensez d’une manière et vous dites de l’autre. Ou bien si vous êtes sincère, vous changez d’idées tous les jours, et vous jouez sur les, "peut-être, je ne sais pas, je crois que oui, presque certain", etc. De cette manière vous ne vous faites pas scrupule de faire perdre le temps, "ce bien si précieux", à quiconque s’arrête à vous. Quoiqu’il en soit je vous pardonne de bon coeur, dans le but d’être moi-même pardonné de mes égarements personnels, et je déclare que si d’ici à quelques mois vous finissiez par sortir de cette torpeur d’indécision, vous n’auriez qu’à m’en donner connaissance, et je ferai en sorte que nous recommencions nos amours.

Après vous avoir tant aimé Mademoiselle, car je ne crains pas de le dire ni de l’écrire, "Jamais je n’ai aimé fille, comme je vous ai aimée", je ne pense pas me séparer de vous sans vous faire les souhaits que mon coeur me dicte: Qu’il vous soit donné Mademoiselle de rencontrer un autre Louis, s’il en existe un, c’est-à-dire, un autre homme qui possède toutes ses qualités et les richesses de son caractère, et qui n’ait pas plus de défauts qu’il n’en a.

Mais s’il vous échoit en partage, un bourreau, de grâce qu’il me soit au moins accordé de toujours l’ignorer, car s’en est assez pour ma part, de la tristesse qui m’étreint aujourd’hui.

Comme il ne nous sera pas accordé, "si nous suivons la direction que nous prenons aujourd’hui", de vivre ensemble sur la terre, dans un même but d’action, sous un même nom, sous un même toit; il convient que mon dernier souhait, soit celui-ci: Qu’au moins nous puissions mériter chacun à notre manière d’abriter, de loger un jour, "si je puis m’exprimer ainsi" sous un autre toit, qu’est celui du paradis des élus.

Là, en compagnie de notre enfant spirituel le petit Thomas Benoit Joseph, nous chanterons bien haut, non plus des chansons flatteuses ou des romances pour rire, mais les gloires et les louanges de Celui qui gouverne tout.

Adieu chère Rose-Anna,

L. Roussel




Adresse du 40e anniversaire (Noces de rubis)

Vénérés Jubilaires,

Chers et bien aimés parents,

Les adresses, les boniments de circonstances, ont toujours été quelque chose d’émouvant, disons même, quelque peu tristes et pathétiques. Je ne voudrais pas verser dans une sentimentalité excessive, et pourtant, comment ne pas souligner comme il se doit et d’une façon un peu plus solennelle, ce beau jour d’anniversaire, qui réunit autour de vous cette couronne d’enfants, de petits enfants, de parents et d’amis.

Quarante ans d’union, de bonheur sans mélange?... Oh! non bien sûr... Il y a eu de tout ce qu’on rencontre normalement dans toute vie, et pourtant, cette première quarantaine donne une idée de ce que sera la seconde, sans doute plus reposante, plus pacifique, un peu la récolte de la semence jetée depuis ces années déjà lointaines et pourtant bien près, et bien vivantes de souvenirs doux à évoquer.

Or un beau matin de juillet, c’était un quatorze, quelle température faisait-il?... Quelle importance?... Il faisait soleil dans le coeur des deux jeunes fiancés; un jeune homme gai, heureux, bon, nourri des plus saines ambitions à la chaleur de la piété et du sérieux de la Fraternité des Clercs St-Viateur, en plus affublé d’une chevelure presque irréelle tellement belle et bienséante, un jeune homme rempli d’idéal, voyant la vie sous son plus beau jour, voyant surtout sa toute jeune fiancée, brune, yeux noirs, grande, élégante, forte, mais surtout, sous des dehors un peu timides renfermant un coeur et une âme pleins de vaillance, de vertus qu’on ne découvrirait qu’à mesure du besoin.

Je serais bien téméraire, et risquerais fort d’être en deçà de la vérité, en essayant de brosser un tableau exact de nos héros, du couple idéal d’il y a quarante ans. Les témoins oculaires du temps pourraient bien nous le dire. Cependant, à la lumière de mes souvenirs et des oui-

dire, voici un rappel d’une carrière, humble, modeste, une énumération des souvenirs qui ont jalonné entre dix-neuf cent vingt et dix-neuf cent soixante.

Le "bogghey" grinçait sur la route rocailleuse, musique pourtant douce, accompagnée du son de la cloche, chantant les épousailles d’un couple qu’on prédisait, voué aux plus hautes destinées. Oh, quelle journée!... Ce fut ensuite le voyage de noce... à Métis, dit-on, sur le bord de la mer; il fallait de larges horizons, le bleu du ciel et de la mer, la grande nature pour chanter leur bonheur. Et puis, quelques mois à St-Octave; là commence le pèlerinage à deux. Travail, rêves, ambitions, espérances, qui déjà prennent forme. Lointains ces premiers souvenirs?... Oh non!... C’était hier, n’est-ce-pas!... Mais le véritable nid devait s’établir à St-Gabriel. Un nid, il en fallait un, puisque déjà le duo s’était transformé en trio, et bientôt un quatuor, et qui sait si dans quelques années ce ne serait pas toute une chorale!... On a connu les pénibles débuts, le travail ardu, d’une part le gagne-pain, d’autre part le soin du ménage. Par l’obligeance d’amis, le secrétariat devenu vacant, quoi de mieux pour un homme instruit, intelligent et surtout persévérant. Pas de gros salaire, mais avec les messes du matin, la bedocherie, un peu plus tard, c’était parait-il suffisant pour l’instant; chaque jour, chaque année suffisaient leur peine. Deux, trois, quatre enfants... Viateur, la petite Gertrude, Norbert et Marc. La maison rose devait voir naître Irénée et Gisèle. Ce fut, vous vous en souvenez, l’époque du "truck"... beaucoup de travail, d’ennuis et peu de rendement; c’est alors que le paternel devint ancanteur, huissier et même comédien sur toutes les scènes d’alentour.

Passons vite une époque cruelle pour la famille: le rappel au ciel de l’aîné, un deuil qui n’est pas encore cicatrisé, mais que nous considérons comme la rançon qu’on doit payer à Dieu pour des fins que lui seul connaît. Épreuve encore que ces années de maladie, le goître, insidieux, rongeur, qui dut nécessiter un séjour à l’hôpital, une opération et bien des inquiétudes. Grâce à Dieu, la situation redevint normale, la santé revint, à preuve, les plus âgés commencèrent l’école, tandis que d’autres venaient augmenter la maisonnée. Bonjour à Aline, la petite blonde, qui dès son jeune âge aimait à sonder de sa tête la solidité des murs et des planchers. Souvenirs encore que la construction des routes, le casse-pierres, le vaillant

petit cheval noir, le vieux Pit, successeur du gringant Dandy... et le lot du Mont-Comi, le fameux lot... parlons en donc!... La prévoyance paternelle voyait déjà s’élever une maison, une grange, des dépendances, dans ce nord lointain, perdu, sans eau, loin de tout, mais pour l’occupation et l’établissement des jeunes garçons... C’était un rêve, et c’est demeuré à l’état

de rêve, puisque la terre à Langlois devint désormais le nouveau "home", le port d’attache de toute la nichée.

De semi-agriculteur que vous étiez, vous deveniez, et nous également, de véritables cultivateurs, dans toute la force du mot, comportant toute la kyrielle des besognes bien ardues et laissant dans le souvenir des jeunes des mots à résonnance inoubliable, tels: roche, vache, fraises... framboises, mouche à patate, oeuf de mouche à patate, à 5 heures du matin... Et que dire de la période des boeufs, Mutt & Jeff, véritable odyssée, désespoir des uns, amusement des autres, idée originale s’il en fut, et ce n’est pas la seule pour la réalisation desquelles il ne fallait rien moins qu’un original de père comme le nôtre.

Les années passent, se succèdent, se ressemblent plus ou moins; la Banque Canadienne Nationale vint s’ajouter au travail déjà bien accaparant mais plus rémunérateur; viennent s’ajouter également à la famille: Lisette, Marcelle, Édèse, Edith, et comme dessert, le mignon petit Gildas. Entre temps les études vont bon train. Il faut faire instruire tout ce petit monde, Séminaire, Grand-Séminaire, École d’Agriculture, Couvent, École Normale, École des Infirmières, Institut Familial, École Technique, et dire, chers parents, que vous avez traité avec toutes ces maisons-là en y laissant non seulement votre argent mais même quelques uns de vos enfants... et le dernier mot n’est pas encore dit...

De noirs nuages ont assombri parfois ce ciel ordinairement serein, la disparition de certains êtres chers, le grand-papa Roussel, les grands-parents Morissette. On incline la tête et on continue le pèlerinage, avec la conscience d’être maintenant plus que jamais de la relève.

Comme événements plus récents dans les annales familiales et dont tous ont souvenir, faudrait t’il mentionner quelques uns très heureux. Les mariages de Gertrude, Gisèle, Irénée, Marc, Lisette, la bienvenue aux beaux-frères et belles-soeurs, l’ordination, les prises d’habit, les professions de nos mères, la médaille d’or du mérite agricole, réception dans une maison toute neuve où il fait bon se retrouver aujourd’hui, tous ensemble, pour vous dire, nous vos enfants, avec toute la chaleur dont nous sommes capables, toute notre affection, notre reconnaissance et notre admiration sans borne.

Les voeux que nous formons à votre endroit, sont la réalisation de vos désirs les plus chers, et surtout la satisfaction d’avoir accompli une tâche vraiment sublime, au service de Dieu et de la société. Nous, vos enfants, nous vous devons tout ce que nous sommes et nous voulons être. La paroisse vous doit 40 ans de dévouement, tous vos parents et amis sont heureux de vous payer un tribu d’une admiration la plus sincère.

Puisse le ciel vous garder très très longtemps pleins de vigueur et de santé, au moins jusqu’au noces de diamants. Fasse le ciel également que vos exemples de vertus, piété, amour du travail, désintéressement, dévouement, soient suivis par chacun de nous. N’allez pas vous imaginer que c’est le temps de chanter le "Nunc dimittis"... Aujourd’hui c’est une étape, il faudra se retrouver ici dans dix ans, puis dans vingt ans.

Les enfants, par Norbert.




Une petite histoire simple

Quand j’étais petit, j’aimais beaucoup les histoires. J’étais comme Gildas quand il était enfant. Quand Gildas voulait une histoire, je lui contais toujours la même, et ça lui plaisait, excepté la fin. Quand papa me racontait son histoire, toujours la même, lorsqu’il était pressé elle était courte, quand il ne l’était pas, l’histoire était bien plus longue; et la terminaison, toujours la même. Voici son histoire:

Une fois, c’est pour vous dire, c’était un homme, qui gardait beaucoup de chevaux. C’était un maquillon, peut-être un Cazeault. Il y en avait des gros, des petits, de toutes les couleurs; des chevaux de trait, des coursiers, etc... Il avait de la misère à les tenir gras. Les lutins les faisaient souffrir paraît-il. Des lutins, ce sont des petits hommes imaginaires, qui tressent la crinière et la queue des chevaux, les empêchent de manger, de se coucher, en un mot, les maltraitent. Cet homme là, vous savez, a essayé de prendre son ou ses lutins au piège. C’est fin comme on "cré" pas... et ça met tout en ordre avant de partir. Un soir l’homme a mis un sac de cendre au dessus de la porte de l’étable, disant: "Quand le ou les lutins entreront le sac va tomber, la cendre va s’étendre, et le lutin n’a pas assez de la nuit pour tout ramasser. Il est supposé ramasser sa cendre avec une griffe, alors, au petit jour je lui tomberai dessus, et puis là, "paremple"... Mais rien à faire. Alors l’homme décide de déménager. Il transporte son ménage, ses chevaux, sa femme et ses enfants ailleurs. Il fait un voyage, deux voyages, trois voyages... "Je dois être bon pour tout mettre dans le quatrième voyage..." Mais pas moyen, il reste encore des effets... On sait ce que c’est que déménager. Au cinquième voyage, mon homme est pas mal chargé et le chemin est mauvais. Ça force dans la grande côte. Il surveille sa charge pour ne rien perdre. Un bon moment donné, vous savez, il jette un coup d’oeil en arrière, et qu’est-ce qu’il aperçoit, pensez-vous? Un lutin, sur l’arrière de la charrette.
"Où vas-tu, mon petit M.....?" Le lutin répond: "Mais comment? on déménage pas aujourd’hui..."